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Le voile à Maspéro

37 speakerines voilées auront le droit de paraître à l’écran suite à une décision des nouveaux dirigeants de l’Union de la Radiotélévision. Entre joie, inquiétude et optimisme, les avis sur cette décision divergent.
 
« J’ai été victime d’une grande injustice. On m’a interdit de paraître sur le petit écran pour la simple raison que j’ai décidé de porter le voile. On m’a obligée à mettre un terme à ma carrière après 20 ans passés à la télévision publique. Je me suis retirée alors que je présentais 4 programmes qui réalisaient une forte audience. Il n’y avait aucune raison logique de me destituer de mon poste alors que je n’avais commis aucune erreur professionnelle. J’ai enfin gagné la bataille et je reviens la tête haute devant mon public », confie Maha Medhat, speakerine.

Aujourd’hui, Maha est dans une course contre la montre pour se préparer à son premier face-à-face avec la caméra après 7 ans d’absence. Elle met de l’ordre dans son armoire, choisit son foulard et un maquillage léger qui convient à sa tenue vestimentaire. Elle veut à tout prix conserver cette même image que le public a gardée d’elle. « Au début, j’avais décidé de ne pas porter le foulard uniquement devant la caméra. Mais j’ai trouvé cela très hypocrite de ma part ». Maha a donc décidé de se battre, de relever tous les défis, car le fait de lui interdire de paraître voilée à l’écran était, pour elle, un acte discriminatoire. Elle a intenté un procès. Et bien qu’elle l’ait gagné, elle n’a pas réussi à retrouver sa fonction de speakerine sous prétexte que ce sont « des ordres de la présidence ». Une situation qui l’a poussée à faire un sit-in devant le Parti National Démocrate (PND).

Maha fait partie de ces 37 speakerines voilées qui vont retrouver leur place devant la caméra suite à la décision des nouveaux responsables de la télévision publique. Selon Sami Al-Chérif, président de l’Union de la Radiotélévision, le retour des présentatrices qui portent le foulard entre dans le cadre du nouveau développement de l’organisme, et c’est une manière de redonner à ces speakerines une liberté confisquée sous l’ancien régime.

Une décision considérée par ces speakerines comme l’un des fruits de la révolution. « Avant la révolution, le fait de lutter pour cette cause était à la fois une perte de temps et d’énergie. Le régime imposait son diktat et personne ne savait où s’arrêtait la liberté au vrai sens du terme, la liberté d’expression et la liberté vestimentaire, le fait de disposer de son corps comme on l’entend. Après la chute de Moubarak, je pense que les jeunes de Tahrir nous ont donné un exemple à suivre dans leur lutte pour obtenir leurs droits. Ils nous ont créé un terrain fertile sur lequel on a pu bouger », explique Névine Al-Wakil, une speakerine qui porte le voile depuis 2003.

Le voile, un habit plus qu’une revendication

S’agit-il d’une montée du courant islamiste ? Non, explique Adli Réda, président du département de la radio et la télévision de l’Université du Caire. Selon lui, il est temps que cette catégorie soit représentée sur le petit écran. La rue égyptienne compte, en effet, plus de 80 % de femmes voilées. « Comment donc priver une speakerine voilée d’exercer sa fonction alors qu’elle possède les outils médiatiques comme la culture, la langue et la présence ? Il faut attacher plus d’importance aux compétences professionnelles plutôt qu’à l’allure qui était l’une des raisons de la détérioration des médias en Egypte », avance Réda. Il précise qu’il existe des speakerines voilées très compétentes telle l’Algérienne Khadiga bin Qenna. « D’ailleurs, la mieux payée et la plus célèbre présentatrice mondiale est l’Américaine Oprah Winfrey. Et son succès n’est pas dû à son physique », commente pour sa part Inès Abdallah, speakerine voilée, en ajoutant que les femmes voilées ne manquent ni de coquetterie ni d’élégance.

La première speakerine voilée est apparue sur le petit écran dans les années 1970. Karimane Hamza, qui portait le foulard, présentait une émission religieuse de quelques minutes. Selon un accord tacite, l’animatrice qui opte pour le voile doit s’éloigner des émissions populaires et de la caméra. Ce qui a poussé un nombre de présentatrices à saisir la justice. Cependant, les verdicts en leur faveur n’ont jamais été appliqués, car les deux derniers ministres de l’Information — actuellement poursuivis par la justice — estimaient que la femme voilée devait rester chez elle.

Si certaines se sont montrées combattantes, d’autres ont préféré se retirer. Camélia Al-Arabi a mis fin à sa carrière alors qu’elle présentait une émission pour enfants. Elle a décidé de s’adonner aux œuvres de charité. Mona Al-Wakil est partie travailler sur la chaîne privée Badr. D’autres se sont contentées d’accepter un travail administratif. Elles ont refusé de se lancer dans un conflit avec ceux qui étaient à la tête de Maspéro.

Inès Abdallah confie que les moyens employés par les anciens responsables pour les empêcher de se mettre devant la caméra étaient humiliants. « Faut-il recourir aux tribunaux pour enfin me permettre de lire mon programme, sans paraître à l’écran, à 4h du matin, quand tout le monde dort ? On ne pouvait pas se rebeller, car la mise en place du plan de diffusion relève de la responsabilité des dirigeants ». « J’ai l’impression aujourd’hui d’avoir émigré et de retourner au pays. J’ai été élevée et j’ai grandi à la télévision égyptienne qui a pris toute ma vie », confie-t-elle. Elle ajoute que les animatrices voilées ont été lésées et privées de leur droit d’occuper des postes importants à la télévision. « J’ai un master, et mon expérience professionnelle me permettait, selon la loi, d’exercer la fonction de chef d’une chaîne. Mais à cause du voile, je n’ai pas pu décrocher ce poste. J’ai perdu 7 ans de ma carrière en me retirant et cela pour rien », avance Maha.

Quels programmes leur donner ?

Les préparatifs vont bon train dans les locaux de la télévision. Les speakerines voilées sont heureuses de retrouver la caméra. Cependant, cette décision ne cesse de provoquer des remous à Maspéro. Une colère monte dans les rangs des non-voilées, surtout celles qui présentent des programmes qui vont être présentés par ces revenantes. « Elles vont partager avec nous la durée et le budget des émissions. Ce n’est pas juste », hurle une speakerine, non voilée, suite à la promulgation de ce décret.

Une polémique plus large s’impose aussi dans le champ médiatique. Salma Al-Chammaa, speakerine qui a travaillé à la télévision égyptienne dans les années 1970 avant de suivre sa carrière à Monte-Carlo, estime « qu’à chaque métier convient une tenue. Un soldat, par exemple, doit porter son uniforme militaire. Un pompier s’habille selon les besoins de sa tâche. La speakerine doit donner une image véritable du pays et nous ne sommes pas un Etat religieux. Je peux comprendre qu’une voilée paraisse à l’écran de la télévision saoudienne, mais je n’accepte pas qu’elle représente la femme égyptienne. Pourquoi doit-elle être habillée comme les femmes du Golfe alors que ces dernières ne portent pas les mêmes vêtements que nous ? », s’interroge Al-Chammaa.

Un avis qui semble être partagé par Albert Chafiq, chef de la chaîne privée ON TV. « Qu’est-ce qui va se passer si toutes les speakerines portaient le voile ? La femme égyptienne risquerait de perdre son identité ». Il se tait puis donne l’exemple de la défunte Samia Al-Etrebi comme modèle à suivre par les jeunes speakerines. « Elle était à la fois respectueuse, pudique et avait du charisme et une grande présence à l’écran », avance Albert, qui accepte ce retour des speakerines voilées mais dans des émissions religieuses ou pour enfants. « Elles risquent de perdre de leur crédibilité si elles présentent des programmes artistiques ». D’ailleurs, Inès Abdallah l’a bien compris. « Même si j’ai couvert des festivals artistiques et que je maîtrise parfaitement le français et l’anglais, je pense que ce domaine ne me convient plus ; je vais préparer des émissions de type social », avance-t-elle.

Changer de thème : voilà un autre défi à relever. En attendant de voir ce qu’elles donneront à l’écran, les speakerines voilées se sont mises au travail ... après une longue absence.

Dina Darwich, Al-Ahram Hebdo
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